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Dépistage néonatal de la surdité: un arrêté clôt la polémique

D'ici 2 ans, tous les nouveau-nés seront dépistés à  la maternité pour établir l'état de leur audition. L'arrêté du 23 avril signé in extremis par le ministre de la Santé Xavier Bertrand, la secrétaire d'État Nora Berra et la ministre du Budget Valérie Pécresse, est paru le 4 mai au Journal Officiel. Passage en force, pour les associations, rattrapage salvateur d'un retard français, pour les médecins.

CE DEVAIT ÊTRE UNE LOI, proposée dès 2010 par les députés (UMP) Jean-Pierre Dupont, Jean-François Chossy et Edwige Antier, également pédiatre. Après une vaine odyssée législative, c'est finalement un arrêté paru au J. O. dans l'entre-deux tours de la Présidentielle qui entérine la mise en place d'un dépistage des troubles de l'audition « proposé systématiquement » avant la sortie de la maternité. D'ici deux ans, tous les nouveau-nés seront donc dépistés dans les tout premiers jours de leur vie. Les 1 à  2 % d'enfants dont le dépistage aura échoué devront subir de nouveaux examens avant la fin de leur troisième mois. Un enfant sur 1 000 naît sourd, soit 800 bébés français chaque année. Les agences régionales de santé seront chargées de la mise en oeuvre des programmes.

Satisfecit du corps médical. « C'est une mise à  niveau de la France par rapport aux pays développés, dont 26 sont déjà  dotés d'une loi ou de fortes recommandations en faveur d'un dépistage néonatal », souligne le Pr Françoise Denoyelle, PU-PH dans le service d'ORL pédiatrique de l'hôpital Armand-Trousseau (AP-HP) de Paris. Depuis plusieurs années, seulement 30 % des surdités congénitales sont identifiées précocement. Or le dépistage néonatal est essentiel à  plus d'un titre, selon la spécialiste. Il permet de raccourcir le délai de prise en charge des surdités sévères, actuellement entre 18 et 24 mois, et surtout celui des surdités moyennes, qui ne sont détectées que vers 3 ou 4 ans. « Il n'y a pas de rupture de communication, la précocité du dépistage atténue les séquelles », précise le Pr Denoyelle.

Le dépistage, lorsqu'il est suivi d'un diagnostic, conduit en outre à  identifier les causes de la surdité et parfois à  déceler des pathologies annexes. Entre « 10 % à  15 % des enfants souffrent d'une malformation de l'oreille interne, il faut les vacciner contre le pneumocoque. La même proportion peut porter le cytomégalovirus (CMV), qui ne se diagnostique pas rétrospectivement », poursuit le Pr Denoyelle.

Il est enfin impératif d'examiner le bébé avant sa sortie de maternité. « à€ 3 mois, 46 % des enfants sont perdus de vue. Dans les établissements, nous pouvons tester tout le monde », avance la chirurgienne ORL.

Contestation idéologique

Le dépistage ultra-précoce ne fait pourtant pas l'unanimité. Lors des débats à  l'Assemblée nationale, le Parti socialiste avait dénoncé les pressions des lobbys industriels, et « la volonté de favoriser la pose d'implants cochléaires par chirurgie dès les premiers mois de la vie ».

Les divisions persistent entre associations. L'association Française pour le dépistage et la prévention des handicaps de l'enfant (AFDPHE) se félicite de l'arrêté ministériel, au nom de l'égalité d'accès aux soins. La Fédération nationale des sourds de France (FNSF) et l'Union nationale pour l'insertion sociale du déficient auditif (UNISDA) sont au contraire vent debout. L'UNISDA, qui milite pour « l'assimilation précoce d'une langue première par l'enfant sourd », voit dans le dépistage ultra-précoce le risque « d'une sidération des parents liée à  l'annonce du handicap » qui peut « empêcher l'installation du premier lien mère/enfant ». En outre, l'union craint que l'appareillage médical oriente les parents dans l'idée d'une « réparation », et non dans la prise en compte de la spécificité de l'enfant.

« Sous prétexte que les parents pourraient souffrir de troubles psychologiques à  l'annonce du diagnostic, qu'il ne faut pas confondre avec le dépistage, on priverait les enfants"‰! Sur le plan de la démocratie, cela est inacceptable », s'insurge le Pr François Legent, président du comité d'éthique de la société française d'ORL et membre de l'académie nationale de médecine. L'institution s'est d'ailleurs prononcée en faveur du dépistage ultra-précoce, en réponse à  l'avis n° 103 du comité consultatif national d'éthique, qui, en 2007, avait évoqué une « déshumanisation du dépistage automatique, anonyme et dépersonnalisé » et fait couler beaucoup d'encre.

Pour le Pr Legent, une vision binaire, opposant implantation et langue des signes, est caduque. « Ce sont les parents qui décident, mais il est important de connaître tôt l'état de l'audition des enfants et ensuite l'équipe médicale, avec des psychologues, fait des propositions à  la famille ». « Des plaquettes nationales d'information doivent être distribuées et les proches mis en relation avec les associations qui pratiquent l'oral, l'oral et les signes, ou seulement les signes : il n'y a pas d'opposition entre oral et langue des signes », insiste Françoise Denoyelle.

"º COLINE GARRÉ

Le Quotidien du Médecin 16/05/2012



      Date de rédaction : 29 mai 2012 10 h 08

      Date de modification : 29 mai 2012 22 h 08 min

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