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Mot de passe oublié ?

Médecine libérale et protection sociale: le regard d’un échaudé!

 

« Dans le vide libéral, personne ne vous entendra crier »

 

 

Parfois la vie vous donne une bonne leçon. Pas trop souvent quand même, heureusement.

Samedi soir, sortie de bloc, coude gauche dans une attelle.

Mon copain Chir ortho :

« T’as pensé à déclarer ton accident du travail ? »

« Non, je pensais que c’était toi qui le faisais »

« Ben non, les libéraux vous êtes vos propres patrons, c’est vous qui déclarez »

« Ah mince ! Mais tu sais comment on fait ? »

« Je crois que c’est par recommandé. Fais gaffe t’as que 48h. En plus demain c’est dimanche ».

Légèrement blême, je tapotais fébrilement sur Google « comment déclarer accident de travail ? ».

Pour découvrir que, pour déclarer en ligne, il faut un compte net-entreprises.fr (que je n’avais pas).

Puis remplir péniblement le CERFA n14463*03 (ex-60-3682), tapant à un doigt de ma dernière main valide, pour envoyer le PDF par mail à ma femme qui a finalement pu poster le recommandé dans les délais requis.

Sacrée soirée ! Ou juste un samedi soir sur la terre (comme disait Francis).

 

Cette amusante histoire n’était malheureusement que le point de départ d’un chemin de croix administratif.

Les dossiers à constituer pour la Prévoyance comme pour la CARMF faisaient entre 50 et 100 pages chacun. On m’a demandé tellement de justificatifs et de certificats que j’ai dû me déclarer comme mon propre Médecin Traitant pour arriver au bout de mes démarches…

La seule consolation, c’est qu’en arrêt de travail, on a beaucoup de temps libre…

 

Donc je suis, par la force des choses, devenu « expert », ceinture noire en protection sociale libérale.

Je n’imaginais pas à quel point nous sommes sous-formés, et surtout sous-informés sur notre protection sociale.

Nous nous savions déjà peu préparés à la gestion d’un cabinet, au droit social, à la comptabilité.

Autant de domaines d’expertise qui nous échappent (heureusement nous sommes souvent bien conseillés par nos experts-comptables, avocats etc.).

On se découvre souvent trop tard « quasi à poil » en termes de protection sociale.

Mais revenons en arrière…

Depuis toujours, le médecin libéral est responsable de lui-même, puisqu’il est à la fois son patron et son outil de travail.

Il gagne (en tout cas dans l’imaginaire collectif) « beaucoup d’argent », ce qui est finalement son seul parachute.

En échange il renonce à toute protection et à toute faveur, à la « douce quiétude des salariés ».

Donc pendant longtemps le deal était clair :

90 jours de carence avant des indemnités journalières payées par la CARMF, et même une absence de couverture automatique pour les accidents du travail / maladies professionnelles.

Heureusement les choses évoluent !

Faisons ensemble l’inventaire des outils à notre disposition.

 

1/ La Prévoyance

Sans doute le dispositif le plus connu des Libéraux.

Il s’agit en réalité d’une assurance. Elles sont proposées par les acteurs historiques du monde médical (MACSF, la Médicale…) mais aussi par des compagnies s’adressant à toutes les professions libérales (AVIVA, Swiss Life etc.).

 

Cette assurance est compartimentée en différentes catégories :

  • Indemnités journalières courte et longue durée
  • Prise en charge des frais du cabinet
  • Assurance décès
  • Invalidité
  • Rente d’éducation

Chacune de ces catégories peut être ajustée en fonction des besoins de chaque praticien, tant en montant qu’en délai de carence.

 

Une approche pragmatique consisterait donc à :

  • Evaluer les charges du cabinet
  • Evaluer ses besoins personnels
  • Evaluer son épargne pour compléter si besoin

Et finalement adapter ses garanties en fonction de ces paramètres.

 

En réalité il y a une meilleure façon de faire : Il faut demander le maximum pour tout (dans la limite d’examens médicaux raisonnables)

Les Assureurs préférant assurer l’absence de risque plutôt que le risque, la seule limite est le ticket d’entrée (ECG, épreuve d’effort, coloscopie, leur imagination est sans limite).

Mais demandez le maximum auquel vous pouvez prétendre.

Même chose pour les délais de carence, il vaut mieux payer plus mais être pris en charge plus vite que l’inverse.

 

Alors j’entends déjà les grincheux : « Oui mais ça coûte cher ! ».

Faux !

Personnellement je paye 4500 euros par an pour des garanties au top.

Alors oui c’est cher. Mais il y a une astuce !

L’Etat, bien conscient de nous avoir abandonnés, a classé la majorité de ces garanties en « Contrats Madelin », donc entièrement déductibles de nos charges (seule l’Assurance Décès ne l’est pas).

Au final, déduction faite, mon contrat me coûte 450 euros par an, soit moins qu’une mauvaise mutuelle.

Donc mon conseil serait de ne pas « faire à l’économie » (d’autant qu’avec la déduction Madelin elle serait dérisoire).

Prenez les meilleures garanties, les délais les plus courts (dans la limite des examens demandés).

Pour mon histoire personnelle (mes 6 semaines d’arrêt suite à ma fracture du coude opérée), ma Prévoyance (suisse) m’a versé 78% de mon chiffre d’affaires sur la période, sans aucun jour de carence puisqu’hospitalisation. Ça aide à être plus serein…

 

2/ L’AVAT (Assurance Volontaire pour les Accidents du Travail)

On en a déjà parlé à de multiples reprises.

Les médecins libéraux ne sont pas couverts en cas d’accident du travail, d’accident de trajet ou de maladie professionnelle.

Les médecins à exercice mixte non plus, puisque l’activité libérale est présumée majoritaire (sauf à plus de 1200 heures salariées par an avec un revenu égal salarié / libéral et en optant pour le régime des salariés).

En attendant que cette protection élémentaire soit incluse dans nos cotisations, il faut adhérer volontairement à l’AVAT.

Rien de plus facile :

Tous les trimestres, il faut envoyer un chèque de 99 euros à l’URSSAF par voie postale.

C’est sûrement archaïque comme mode de fonctionnement, mais il serait anormal de ne pas pouvoir faire valoir nos droits le cas échéant.

 

3/ Les Assurances Emprunteurs

En discutant avec mes jeunes confrères libéraux, j’ai découvert que beaucoup comptaient sur l’assurance de leurs emprunts.

« Si je n’ai plus à rembourser mes emprunts, mes charges deviennent très faibles »

Première remarque : Vérifiez bien vos délais de carence (par défaut 90 jours, parfois 15 ou 30 jours).

Deuxième remarque : Dans mon expérience, ça ne marche pas très bien.

Il faut des justificatifs par dizaines (les mêmes que pour la CARMF et la Prévoyance cela dit), mais surtout des documents bancaires d’une complexité inédite (échéanciers d’emprunt actualisés, tableaux d’amortissement et autres). Et ce pour chacun des prêts.

A vrai dire mon banquier n’avait jamais vu ça (il travaille pourtant dans une banque privée / d’affaires, mais il a dû faire remonter les documents au siège parce que personne ne comprenait comment les remplir…).

Il faut ensuite décider si l‘assurance se substitue pour le paiement des mensualités ou si votre banque vous rembourse etc.

Tout ça pour dire que le système n’est ni intuitif, ni fluide !

Je suis à plus de 5 mois de mon accident et l’assurance n’a toujours pas fini « l’étude » de mon dossier.

J’aurais bien sûr pu suspendre mes mensualités.

Mais grâce à ma Prévoyance j’ai préféré continuer à rembourser.

Affaire à suivre donc mais mieux vaut ne pas trop compter sur les Assurances Emprunteurs, notamment en termes de délais, et avoir des sous de côté le cas échéant.

 

4/ Les « nouvelles » Indemnités Journalières : Ancien Deal Breaker mais nouveau Game Changer ?

Oui, dans la Start Up Nation, on aime les anglicismes.

90 jours de carence, une éternité, une traversée du désert, un tiers de grossesse…

La CARMF a toujours « regretté » ce délai de carence, n’étant pas reconnue comme un « organisme de sécurité sociale » par les Pouvoirs Publics.

Tout devrait changer le 1er juillet 2021 :

En échange d’une cotisation modique (30 euros par mois maximum), les médecins libéraux bénéficieront d’IJ dès le 4ème jour, pour un montant maximum de 169 euros par jour, soit environ 5000 euros par mois.

Et ce jusqu’au 91ème jour où la CARMF se substituera par son IJ classique.

Bien que n’étant ni organisme percepteur (URSSAF) ni organisme payeur (CPAM), la CARMF se félicite de cette avancée dans son dernier communiqué de presse.

Elle a raison, c’est incontestablement un progrès !

Chaque médecin libéral pourra désormais bénéficier d’IJ allant jusqu’à 5000 euros par mois (en fonction de sa classe de cotisation) et ce dès le 4ème jour.

 

Bonus : Ces évolutions récentes doivent-elles nous faire réévaluer notre stratégie de protection sociale ?

Personnellement je ne le pense pas.

L’AVAT sera toujours indispensable, jusqu’au jour où cette assurance sera intégrée d’office dans nos cotisations.

Pour les « nouvelles » IJ, rares sont les médecins libéraux qui peuvent subvenir aux charges de leur cabinet et à leurs besoins personnels avec seulement 5000 euros par mois (ou moins suivant sa classe de cotisation).

Du fait de l’exonération complète des contrats « Madelin », revoir sa Prévoyance à la baisse est une opération contre-productive, et probablement nulle sur le plan financier.

Donc pour moi ça ne change rien :

  • Une prévoyance au maximum des plafonds disponibles
  • Les nouvelles IJ comme compléments pour pallier à l’inévitable perte de revenus

Une seule limite :

Vérifier que votre Prévoyance actuelle additionnée aux nouvelles IJ ne dépassent pas votre revenu habituel.

Cette situation serait illégale et considérée juridiquement comme un « enrichissement sans cause ».

Mais le cas est sûrement rare…

 

Pour conclure

C’est dans le besoin qu’on reconnaît ses amis.

Et c’est dans la difficulté que l’on sait si on a fait les bons choix, et surtout si on a été bien conseillé.

Malgré nos vies bien remplies et notre discrète « phobie administrative », il serait intéressant de prendre le temps de réévaluer votre protection sociale.

A ce titre, il peut être utile de se faire aider par un courtier en assurance, proposant plusieurs compagnies et plusieurs produits. Parce que les contrats les plus intéressants ne sont pas toujours proposés par les acteurs historiques du monde médical, et ne sont parfois même pas français.

C’est une démarche un peu laborieuse, j’en conviens, mais le jour où vous en aurez vraiment besoin, vous serez contents d’avoir fait cet effort.

En attendant portez-vous bien, et attention au vélo sous la pluie, ça glisse (ça marche aussi avec le ski hors-piste, le kite surf, la dance country…)

Matthieu Cauchois | Vice-Président du SNORL

Pièces jointes :

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